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Jizô - Des voyages en bande dessinée
2 novembre 2011

Nous n'irons pas voir Auschwitz - Jérémie Dres - Cambourakis

auschwitz

 

 

Jérémie Dres, Nous n'irons pas voir Auschwitz, Cambourakis, 2011

Cette bande dessinée est moins une visite de la Pologne qu'un voyage dans la judéité de ce pays. En effet, c'est après le décès de sa grand-mère, juive polonaise, que Jérémie Dres et son frère Martin décident de partir à la recherche de leurs racines. Cependant, face à la destruction de nombreuses preuves matérielles (maisons familiales, tombes, archives, etc.), ils sont obligés d'abandonner ce premier objectif. Leur déplacement se transforme alors en la quête de quelque chose qui reste à définir, une véritable initiation. En effet, ils comprennent peu à peu que ce qui les a poussé à entreprendre ce voyage, c'est avant tout le silence de leur famille sur la Shoah (dont les Juifs de Pologne ont été les principales victimes), mais aussi sur la place qu'ont tenu les Polonais dans ce drame. Comme le montre clairement Claude Lanzmann dans son film Shoah (1979), les Polonais ont été des collaborateurs très actifs de la solution finale et sont encore profondément antisémites. C'est pourquoi, chez les Dres, la haine des "Polacks" fait partie de la mythologie familiale (la grand-mère disait toujours à l'auteur : "Epouse ki ti veux mais pas ine Polack, ni ine Allemonde". Son père le met encore en garde avant son départ : "surtout fais gaffe aux Polacks". Et sa cousine désire se joindre au voyage mais "pas pour rendre visite à ces sales Polacks"). Mais contrairement à Lanzmann, ce n'est pas sur les cendres d'un passé commun à tous les Juifs que les deux frères veulent revenir mais sur le leur propre. Pour cela, ils doivent questionner leur judéité et comprendre ce que cela veut dire que d'être Juif actuellement, en Pologne tout d'abord mais aussi, et surtout, de manière générale. Pour cela, ils vont tenter de répondre aux trois questions cruciales et centrales à cette bande dessinée : qu'ont réellement fait les Polonais entre 1939 et 1945 ? Que font-ils maintenant en commémoration de cette époque ? Et que font-ils pour l'actuelle communauté juive ?

A Varsovie, Martin et Jérémie Dres rencontrent des personnes appartenant à différents organismes juifs locaux. Celles-ci leur font comprendre que la Pologne connaît un véritable renouveau juif, grâce autant aux descendants des survivants restés dans le pays après 1945 qu'à ceux qui ont choisi l'exil et qui reviennent pour savoir et comprendre. Et tous leur démontrent que le pays est maintenant obligé de prendre en compte cette communauté qui compta 3 millions et demi de personnes avant la guerre (dont seulement 300000 survécurent), parce que celle-ci a fait et fait toujours partie intégrante de son histoire, malgré les haines tenaces.

Au cours de leurs recherches, les deux frères découvrent que les quelques témoignages survivants, plus ou moins abandonnés pendant l'ère soviétique, (pièces d'archives, documentation diverse, cimetières, etc.) sont, depuis une dizaine d'années, assez bien pris en charge, notamment grâce à l'aide d'Israël et des Etats-Unis. A Varsovie, ils retrouvent ainsi les sépultures des parents de leur grand-mère grâce à l'informatisation des noms inscrits sur les tombes.

Plus tard, ils partent pour Żelechów (à 85 km au sud-est de Varsovie), le bourg d'origine de la famille de leur grand-père. On les avait auparavant prévenus que si "l'antisémitisme a disparu des grandes villes, il est toujours présent à la campagne". Le récit de leur passage en coup de vent dans cette localité est très intéressant car il permet de comprendre que l'antisémitisme (ou d'autres formes de haines) n'est pas seulement dû aux personnes antisémites (ou autres) mais provient aussi, dans un mouvement dialectique, des Juifs eux-mêmes (ou autres) que la peur force à se placer en position de victimes. Jérémie Dres le montre bien : Żelechów paraît pour le moins paisible. Les deux frères ne rencontrent presque personne. Et c'est seulement dans leur esprit qu'ils semblent ressentir une menace. D'ailleurs, si le cimetière juif ressemble à un champ avec des "pierres bizarres", toujours est-il qu'il n'a pas été supprimé comme le craignait Martin. Mais cela n’empêche pas Jérémie d’être déçu de voir que les tombes ne sont pas entretenues, ni informatisé comme à Varsovie. On peut comprendre sa déception : la figure de son grand-père qu'il n'a pas connu parce que mort en déportation, disparaît encore un peu plus.

Enfin, à Cracovie, les deux compères tombent en plein milieu du Jewish Culture Festival. Et leur participation à un colloque consacré à la renaissance des Juifs en Pologne apparaît comme le point d’orgue de la bande dessinée. Là, se confirme en effet tout ce qu'ils ont vu auparavant : tout d'abord il n'y a pas qu'une seule forme de judéité, mais, au contraire, que celle-ci est multiple, et ensuite, que cette judéité n'a pas forcément à voir avec la religion (Jérémie et Martin ne sont d'ailleurs pas pratiquants) ou même avec une culture mais plutôt avec une origine, un lignage ; une généalogie, en quelque sorte.

Et Auschwitz, dans tout ça ?

Comme l'indique le titre de la bande dessinée, Jérémie et Martin ne se rendent pas à Oświęcim (son nom polonais). Qu'y auraient-ils d’ailleurs cherché ? Il n'y a rien à voir à Auschwitz et à Birkenau, comme le constatait déjà Claude Lanzmann dans Shoah. C'est un lieu de mémoire pour l'humanité toute entière mais certainement pas un endroit où découvrir l'intimité de ses propres racines. Pour les frères Dres, il y a effectivement plus à apprendre sur leurs ancêtres et sur eux-mêmes dans le cimetière abandonné de Żelechów, que dans l'espace vide à l'intérieur de la sinistre enceinte de Birkenau.

Ce que j'aime :

- La découverte d'une Pologne dynamique qui s’extirpe de son triste passé.

- Le point de vue original de Jérémie Dres pour aborder un pays.

- La spontanéité dans les recherches. Les deux frères n'ont rien préparé et se laissent guider par leurs envies et par les rencontres.

Ce que j'aime moins :

- Le dessin un peu enfantin (qu'on oublie heureusement grâce à l'intérêt du récit). Mais je dois avouer qu'il contribue à mettre en valeur la spontanéité des recherches.

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Commentaires
B
Il y a beaucoup à ce sujet : 1/ à Yad Vashem, les Justes classés par nationalité montrent une énorme majorité de Polonais (De loin devant les autres). 2/ La Pologne est le seul pays occupé par les Allemands à n'avoir pas eu d'organisation de collaboration. 3/ La Pologne a accueilli les Juifs (Sous le roi Sigismond II) après leur expulsion d'Espagne et de France 4/ La population juive de certaines villes (Lodz, Byalistok) dépassait les 75% quand elle atteignait à peine les 2% dans des villes de France, donc la comparaison de la situation n'est pas faisable. 5/ Jan Karski (polonais) a été un des seuls à prévenir les Alliés d'éventuels massacres dans les camps.<br /> Que des Juifs aient la haine des Polonais (N° 1 des Justes rappelons-le), ça vaut l'antisémtisme à l'envers, c'est tout aussi honteux.<br /> Voilà, c'étaient quelques chiffres qui resituent le sujet. Merci.
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