Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Jizô - Des voyages en bande dessinée
9 octobre 2011

Goražde - Joe Sacco - Rackham

gorazde

 

Joe Sacco, Goražde, la guerre en Bosnie orientale, 1993-1995, Rackham, 2004

Fin 1995, alors qu'un cessez-le-feu est enfin appliqué et que les dirigeants serbes et bosniaques sont à Dayton (U.S.A.) pour trouver une solution de paix, Joe Sacco se rend dans la petite ville à majorité musulmane de Goražde à l’est de la Bosnie. Il y rencontre des habitants qui vont lui livrer leurs témoignages sur les atrocités que les Serbes du pays, qui étaient auparavant leurs voisins et leurs amis, ont commis depuis 1992. Sa manière d'investigation est toujours la même : l'immersion. A l'inverse des autres journalistes qui filment, interviewent trois ou quatre personnes et s'en retournent le soir même, Sacco reste sur place plusieurs semaines. Il se fait inviter chez l'habitant et sait trouver le bon moment pour poser les bonnes questions. C’est sa manière d’emmener son lecteur au coeur des évènements.

Loin du sensationnalisme et du misérabilisme, il expose les faits tels qu'on les lui rapporte. Il sait alors nous entraîner par palier au fin fond de l'horreur, au milieu des massacres de la population musulmane à Foča, à Srebrenica ainsi que dans les deux offensives serbes contre Goražde. Car Sacco sait édulcorer les images atroces qu’il montre grâce à l’évocation des moments intimes qu'il partage avec ses connaissances locales. Bien sûr, cela n’empêche pas certains dessins d’être à la limite de l’insoutenable. L'auteur ne se contente pas de suggérer les atrocités, il les montre. Pour cela, il se sert de deux avantages qu’offre la bande dessinée : d'une part, il instaure une distance d'avec des images qui seraient insoutenables s'il s'agissait de photographies ou de vidéos. Et, d'autre part, il peut justement rendre compte de ces horreurs quand il n'y avait personne pour les photographier ou les filmer.

Bien sûr, on peut toujours taxer Sacco de partisan et dire qu'il n'expose qu'un côté de la ligne de front. Mais, il est vrai qu’il ne dessine pas en tant que journaliste mais en tant qu'être humain avec tous les partis pris que cela implique. D'ailleurs, s'il ne montre pas le côté serbe sous un jour favorable, toujours est-il qu'il ne le diabolise pas non plus. Quand des avis très négatifs sont exposés, ils le sont par les personnes qu'il rencontre. L’auteur n’est pas non plus un historien froid et apathique. Il se sert des témoignages qu’il récolte et les mêle avec jubilation à l’Histoire. Il nous fait ainsi comprendre que le destin des personnes avec lesquelles il se lie d'amitié se trouve entre les mains des chefs d'état, dans des enjeux géopolitiques plus vastes. Et il nous fait aussi comprendre qu’il n’en est pas autrement pour nous. La paix et la justice ne sont pas éternelles. Elles sont toujours à conquérir et à préserver.

Vous l’aurez compris, cette bande dessinée est indispensable ! Non pas que tout un chacun devrait l'avoir lu, mais parce qu’elle expose des témoignages qui sans elle n'existeraient pas, ou seraient tronqués dans la presse ou bien encore donnés in extenso dans des livres d'histoire que peut de monde lirait. Elle est à mettre sur la même étagère que Maus d'Art Spiegelman. Lire Joe Sacco est un devoir de mémoire.

Ce que j'aime :

- L'agencement en parties thématiques qui permet d'éclaircir le récit qui, sinon, serait très confus.

- Le récit de la deuxième offensive serbe sur Goražde. Haletant !

Ce que je n'aime pas trop :

- Le dessin qui confine souvent à la caricature (j'ai d'ailleurs longtemps dédaigné Sacco pour ça).

Les éditions Rackham annoncent la parution d'une édition spéciale pour les 15 ans de ce livre, avec de nombreux temoignages et documents inédits. A paraître en novembre 2011.

Publicité
Publicité
Commentaires
Jizô - Des voyages en bande dessinée
  • Présenter des bandes dessinées qui parlent de voyages, qui font découvrir des cultures, des ailleurs, des gens... Jizô est la divinité japonaise protectrice des enfants mais aussi des voyageurs.
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog
Publicité
Archives
Newsletter
Publicité